Marie-Françoise Legrand,

Une poétesse toute en délicatesse.

Depuis Hérouville Saint-Clair, Marie-Françoise se plaît à composer des poèmes en toute tranquillité et sérénité. Elle nous les fait partager aujourd'hui.
Lauréate du prix François Pasquier en 2021 avec son poème, Sur les sentiers qui vaguent
Lauréate du prix Jean Rivet en 2020 avec son recueil, Au gré des astres et du vent

***

Poème 1

 

Reviennent les tempêtes

Frapper du gong au creux des songes,

Tempêtes oubliées, disséminées au fil du temps

Elles ont dispersé les heures et les lieux

Aux quatre coins de l’existence.

 

Les amours se sont clairsemées,

Haine et colère s’effacent au lointain

Et ces lueurs qui furent espérance

Se dissipent dans l’ombre du regard.

 

Les souvenirs se font écume,

Poussières d’astres qui s’éloignent,

Lambeaux d’idées entraperçues,

Fleurs d’autrefois et chansons mortes

Toutes écumes éphémères

Sur l’océan qui se répète.

 

Et la beauté s’est repliée,

Dans un cloître de silence,

Que la neige a recouvert.

***

Poème 2

Voici venues les vagues de la nuit obscure,

Elles s’affalent sur la terre

et sur nous autres, pauvres hères

jetés au hasard de l’espace et du temps.

 

Dans la famine des jours nus,

A quoi, à qui nous fier

Nous qui ne sommes rien que ce désir d’ailleurs

Qui nous harcèle et mène, hagards,

Parmi les gravats du passé ?

 

Même le vent fera silence

Lorsque nous touchera l’effroi secret de l’être,

Ce froissement intime de la peur

Dans la morne indifférence des choses.

 

Et nul salut à l’heure du plus haut péril,

Sous la violente étreinte de l’ombre,

Si ce n’est, inespéré,

Quelque fétu de joie

Qui brûle et se consume dans le noir.

***

Poème 3

 

Amours embrasées et fugaces,

Rondes allègres du désir,

Offrande au ciel des arômes d’été,

Tout s’allège et s’élève

Dans le soir d’or qui va s’éteindre.

 

Est-il un lieu où demeurer

Dans la fugue des heures

- celles qui étincellent,

celles qui ne sont rien

et s’évanouissent dans l’oubli - ?

 

Où faire halte

Quand l’horizon nous hèle

Et que le vent nous pousse

Incessamment vers un ailleurs ?

 

Baladins que nous sommes,

En quel site nicher,

Séjour ténu de nos journées,

Manoir intime qui n’enlace pas l’âme,

Gîte ouvert sur le ciel

Comme le nid d’oiseau sur l’envol à venir ?

 

Un air de violon

Vibre et s’attarde au gré des nues,

Désarrimées, s’effacent nos demeures

L’une après l’autre dans la nuit.

 

Dans la prison de l’être,

L’exil soit notre asile,

L’effacement notre demeure.

 

 

Peut-être,

Au point infime de l’aurore,

L’être, un instant, fut étincelle,

Juste un instant entre les temps écartelés,

Et sa beauté encore nous entaille.

 

Depuis nous cheminons, le regard dénudé

Etrangers au milieu des ombres qui divaguent.

L’océan s’est enfui

Emportant loin de nous la lumière de l’écume

Et les barques de la mémoire

Se sont échouées parmi les sables.

 

Tombent le soir et le silence

Sur les rivages délaissés,

Parfois un cri d’oiseau perce l’âme et le ciel

Et le vent chante solitaire

La nuit qui vient pourpre et marine.

 

Mais la beauté reste cachée

Comme scellée au creux du monde

Et nous tenaille le désir

Qu’à l’horizon s’ouvre une faille

Où murmurent les univers.

 

Cela,

Informe et sans mesure,

Où nous sommes plongés, précaires,

Dans le torrent des siècles,

Ce vertige insensé d’univers déployés

Qui désemparent nos raisons,

 

Cela parfois est beau

Quand il se donne à voir

En ces quelques instants

De feu, d’effroi et de grand vent

 

Et il faudrait le voir encore

Sous le morne infini

De tout ce que la mort a privé de lumière,

Malgré les détritus des années entassées

Et nos renoncements sous les ronces amères

 

Pour qu’avant de s’éteindre nos yeux

S’ouvrent un instant,

Lucioles éphémères,

Et puissent voir les étoiles

Comme de très lointaines sœurs.

 

 

Il arrive que n’aies rien

Entre les eaux, le sable et les nuages,

Rien que ta vie et l’aride espérance

D’un instant de hasard.

 

Il arrive que tu aies faim

De pain, de ciel ou d’avenir,

Soif d’infini, d’eau fraîche et de rencontre

Et de la joie incertaine du jour.

 

Il se peut qu’un jour tu étouffes

Seul au milieu de l’absence de tout,

Que te manque la bouffée d’air

Et la prochaine et précaire seconde.

 

Mais il arrive que tu souries

Pour un brin d’herbe sur la berge,

Pour une idée qui vient de naître,

L’ondée soudaine ou l’oiseau de passage.

 

Et il se peut qu’advienne avant le soir,

Un court instant,

L’aube inespérée d’un regard qui se donne.

 

 

Retour à l'accueil