Marie-François Legrand, poétesse toute en délicatesse
Marie-Françoise Legrand,
Une poétesse toute en délicatesse.
***
Poème 1
Reviennent les tempêtes
Frapper du gong au creux des songes,
Tempêtes oubliées, disséminées au fil du temps
Elles ont dispersé les heures et les lieux
Aux quatre coins de l’existence.
Les amours se sont clairsemées,
Haine et colère s’effacent au lointain
Et ces lueurs qui furent espérance
Se dissipent dans l’ombre du regard.
Les souvenirs se font écume,
Poussières d’astres qui s’éloignent,
Lambeaux d’idées entraperçues,
Fleurs d’autrefois et chansons mortes
Toutes écumes éphémères
Sur l’océan qui se répète.
Et la beauté s’est repliée,
Dans un cloître de silence,
Que la neige a recouvert.
***
Poème 2
Voici venues les vagues de la nuit obscure,
Elles s’affalent sur la terre
et sur nous autres, pauvres hères
jetés au hasard de l’espace et du temps.
Dans la famine des jours nus,
A quoi, à qui nous fier
Nous qui ne sommes rien que ce désir d’ailleurs
Qui nous harcèle et mène, hagards,
Parmi les gravats du passé ?
Même le vent fera silence
Lorsque nous touchera l’effroi secret de l’être,
Ce froissement intime de la peur
Dans la morne indifférence des choses.
Et nul salut à l’heure du plus haut péril,
Sous la violente étreinte de l’ombre,
Si ce n’est, inespéré,
Quelque fétu de joie
Qui brûle et se consume dans le noir.
***
Poème 3
Amours embrasées et fugaces,
Rondes allègres du désir,
Offrande au ciel des arômes d’été,
Tout s’allège et s’élève
Dans le soir d’or qui va s’éteindre.
Est-il un lieu où demeurer
Dans la fugue des heures
- celles qui étincellent,
celles qui ne sont rien
et s’évanouissent dans l’oubli - ?
Où faire halte
Quand l’horizon nous hèle
Et que le vent nous pousse
Incessamment vers un ailleurs ?
Baladins que nous sommes,
En quel site nicher,
Séjour ténu de nos journées,
Manoir intime qui n’enlace pas l’âme,
Gîte ouvert sur le ciel
Comme le nid d’oiseau sur l’envol à venir ?
Un air de violon
Vibre et s’attarde au gré des nues,
Désarrimées, s’effacent nos demeures
L’une après l’autre dans la nuit.
Dans la prison de l’être,
L’exil soit notre asile,
L’effacement notre demeure.
Peut-être,
Au point infime de l’aurore,
L’être, un instant, fut étincelle,
Juste un instant entre les temps écartelés,
Et sa beauté encore nous entaille.
Depuis nous cheminons, le regard dénudé
Etrangers au milieu des ombres qui divaguent.
L’océan s’est enfui
Emportant loin de nous la lumière de l’écume
Et les barques de la mémoire
Se sont échouées parmi les sables.
Tombent le soir et le silence
Sur les rivages délaissés,
Parfois un cri d’oiseau perce l’âme et le ciel
Et le vent chante solitaire
La nuit qui vient pourpre et marine.
Mais la beauté reste cachée
Comme scellée au creux du monde
Et nous tenaille le désir
Qu’à l’horizon s’ouvre une faille
Où murmurent les univers.
Cela,
Informe et sans mesure,
Où nous sommes plongés, précaires,
Dans le torrent des siècles,
Ce vertige insensé d’univers déployés
Qui désemparent nos raisons,
Cela parfois est beau
Quand il se donne à voir
En ces quelques instants
De feu, d’effroi et de grand vent
Et il faudrait le voir encore
Sous le morne infini
De tout ce que la mort a privé de lumière,
Malgré les détritus des années entassées
Et nos renoncements sous les ronces amères
Pour qu’avant de s’éteindre nos yeux
S’ouvrent un instant,
Lucioles éphémères,
Et puissent voir les étoiles
Comme de très lointaines sœurs.
Il arrive que n’aies rien
Entre les eaux, le sable et les nuages,
Rien que ta vie et l’aride espérance
D’un instant de hasard.
Il arrive que tu aies faim
De pain, de ciel ou d’avenir,
Soif d’infini, d’eau fraîche et de rencontre
Et de la joie incertaine du jour.
Il se peut qu’un jour tu étouffes
Seul au milieu de l’absence de tout,
Que te manque la bouffée d’air
Et la prochaine et précaire seconde.
Mais il arrive que tu souries
Pour un brin d’herbe sur la berge,
Pour une idée qui vient de naître,
L’ondée soudaine ou l’oiseau de passage.
Et il se peut qu’advienne avant le soir,
Un court instant,
L’aube inespérée d’un regard qui se donne.